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Créatrices sans modèles. Supposons une fille qui veut écrire;
elle cherchera des modèles d'écrivains. Que
trouvera-t-elle ?
Des "femmes de lettres " !
Pis, des femmes de lettres qui écrivent parce qu'elles
sont malheureuses en amour ou laides !
C'est Christine de Pisan, femme cultivée (fait
exceptionnel de son temps), poétesse, essayiste
féministe d'avant-garde : "si la coutume était de
mettre les petites filles à l'école et communément on
leur fît apprendre les sciences comme on fait aux fils,
elles apprendraient aussi parfaitement et comprendraient
les subtilités de tous les arts et sciences comme ils
font".
Qu'écrit-on sur elle ? Qu' "elle fut la première
de nos femmes de lettres pour laquelle la littérature
n'est pas une nécessaire vocation, mais un faute de
mieux, un trompe-temps en même temps qu'un gagne-pain.
Combien elle eût préféré passer sa vie entre un
époux chéri et ses enfants * !"
Pourquoi toutes les jeunes veuves n'écrivent-elles pas ?
C'est Louise L'abbé, d'une grande beauté (tiens ? et
elle écrit ?), de l'esprit, musicienne, poétesse...
Mais rien de cela ne compte en regard d'avoir eu
"l'insigne honneur d'être l'amie de Maurice Scève
*" !
C'est Madame de Sévigné. "Si après son veuvage,
elle eut aimé de droite et de gauche comme la plupart
des femmes *", nous n'aurions point eu ses lettres.
D'ailleurs, si elle réussit dans la correspondance c'est
parce que ce genre moins défini, que les règles en sont
souples, qu'il n'est nul besoin de pensée profonde,
etc., etc. Ses Lettres sont considérées, au
mieux, comme le génie du bavardage !
Quand le genre se définit, les romancières sont-elles
reconnues ? "Le roman romanesque est un genre bien
féminin. Tissé d'imaginaire et de réel, il répond à
la tournure d'esprit des femmes * ..."
Les détournements vont plus loin; si Madame de la
Fayette écrivit La Princesse de Clèves, c'est
parce qu'elle possédait, "comme toutes les
femmes" une merveilleuse faculté d'assimilation.
Ainsi, elle put composer son roman grâce aux
conversations de ses "brillants amis" :
"Elle dut à ses amis le plan, les alentours de
l'intrigue, la documentation historique, tout ce que son
manque d'imagination ne lui permettait pas de réunir.
Elle leur dut même la perfection de son style. Il reste
qu'elle ne dut à personne cette vie intime qui fait le
livre *." - Qui l'eût cru !!!
Le siècle des Lumières est aussi présenté comme celui
du "règne des femmes". Les preuves de ce
règne sont évidentes, entre 1725 et 1760,
"surproduction" de livres sur la
femme, non des femmes sur elles-mêmes. Elle
acquièrent aussi le droit au respect, la reconnaissance
d'elles-mêmes et, dès lors, les valets leur
adressèrent la phrase devenue rituelle : "Madame
est servie " !!!
Le sujet est brûlant et une lutte se livre contre la
femme, pour la femme, mais le pour est aussi nocif que le
contre !
Contre : en 1766 un pamphlet, Paradoxe sur les femmes
où l'on tâche de prouver qu'elles ne sont pas de
l'espèce humaine !!!...
Pour : l'essais de Thomas, Sur les femmes, leur
caractère. Thomas leur donne toutes les
"vertus" du caractère mâle et du génie viril
! De plus, pour atténuer la portée de cette uvre,
on nous précise qu'elle a été écrite sous l'emprise
de la passion et pour plaire à Madame Necker !
Comme quoi les femmes devraient cesser
"d'inspirer" pour prendre, elles-mêmes, la
plume !
C'est aussi Madame de Staël, première des femmes à
exposer ses vues sur le mariage, le divorce, la
société, la littérature, etc. Première femme à
revendiquer son droit au génie.
Qu'écrit-on ? "Eût-elle orienté sa vie de la
même manière si elle avait possédé la beauté de
Madame Récamier ? Comme Madame de la Fayette, elle
manque de charme proprement féminin. Comme elle, elle
épousa un homme terne qui ne lui apporta pas la
félicité rêvée *." Au mieux, quand on n'ose pas
nier son uvre, on évoque "sa virilité",
ce qui la nie d'une autre manière !
A remarquer que le pouvoir subversif de Madame de Staël
était tel que Napoléon ne s'y était pas trompé !
....
*[Jean Larnac : Histoire de
la littérature féminine en France]
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